Requiem
pour la terre
1. Lune de miel
Aéroport John F. Kennedy, New York.
Un agent de bord d’Olympic Airways priait les retardataires du vol 411 en partance pour Athènes de se rendre immédiatement au quai d’embarquement numéro 5.
Malgré ce dernier avertissement, Dani et Catherine ne bronchaient pas, préférant faire le pied de grue devant le comptoir d’enregistrement des bagages, dans l’espoir de voir arriver Laurana, leur gardienne attitrée.
— Est-ce que tu la vois ? dit Catherine après avoir inspecté toutes les silhouettes de son regard scrutateur.
— Ne t’inquiète donc pas, elle va bien finir par arriver.
— Tu ne la connais pas aussi bien que moi. Occupée comme elle est avec son double emploi, elle ne trouvera peut-être pas le temps de venir chercher nos clés. Ça fait maintenant un mois que nous sommes installés dans notre nouvel appart et elle n’a même pas pris la peine de venir nous visiter. J’espère au moins qu’elle saura faire fonctionner nos nouveaux électro.
— Hé ! Catherine, regarde là-bas, dit-il en pointant son index vers la rampe de l’escalier mécanique.
— Oui, c’est elle ! La voilà enfin. Pas trop tôt Laurana. Vite, cours, on est ici ! criait-elle en brandissant les bras au-dessus de sa tête.
Hors d’haleine, Laurana s’arrêta quelques instants, puis reprit sa course effrénée. Une fois rendue à portée de voix, elle leur présenta ses excuses :
— Je suis vraiment désolée de mon retard, leur dit-elle haletante. J’ai dû faire des heures supp. Donnez-moi vite vos clés et écrivez-moi le code de votre système d’alarme.
Encore essoufflée, elle leur souhaita de faire un très beau voyage et les encouragea à célébrer avec faste leurs noces de coton. Sur ces bons vœux qui paraissaient pourtant sincères, Catherine s’empressa de la remercier en sachant fort bien que la jalousie lui transpirait par tous les pores. La pauvre Laurana ne pourrait jamais, faute d’argent, faire un si beau voyage, et elle en pâtissait maladivement. Mais l’heure n’était plus à l’étude des troubles caractériels de Laurana, le temps pressait. Sentant le regard courroucé du responsable de l’embarquement braqué sur elle, Catherine comprit l’urgence de faire ses adieux.
— Laurana, prends bien soin de notre Cachemire.
— Certainement. Pars en paix et ne t’inquiète pas : je trouverai bien ce qu’il lui faut. Pressez-vous, le steward vous attend.
— À dans quinze jours ! J’espère que la date de notre retour ne sera pas renvoyée aux calendes grecques à cause d’attentats terroristes ou de Dieu sait quoi, mâchonnait-elle la tête enfouie dans son sac, fouillant pour mettre la main sur les billets.
— Arrête de chercher, je les ai, dit Dani en se penchant pour ramasser leurs bagages à main. Mets fin à tes adieux et suis-moi.
Après une dernière accolade qui n’en finissait plus, Catherine le rejoignit en courant. Les deux vacanciers disparurent dans la foule.
Laurana, gênée de s’immiscer dans leur intimité avant le décollage de leur Boeing 747, décida d’aller déguster un verre de bénédictine au bar de l’aérogare. Mais dès que le vol 411 s’ébranla sur le tarmac, elle déposa sa consommation sur le comptoir, ramassa ses valises et, d’un pas assuré, longea les longs couloirs en regardant les logos des compagnies aériennes. Une fois rendue à l’emplacement réservé aux « Yellow cabs », elle y héla un taxi qui la conduisit à l’angle de la 56e rue et de la 5e avenue.
Arrivée devant leur gratte-ciel, elle étouffa ses cris de joie. Ça alors ! pensa-t-elle, si j’avais su que c’était ce gratte-ciel-ci, j’serais venue le visiter bien avant. Ma fille, ne montre pas au chauffeur que tu y mets les pieds pour la première fois. Fais la blasée.
La nouvelle résidante, nez en l’air, traversa le vestibule en exhibant d’un geste d’habitué la clé numéro 4624 au vigile de l’entrée. Rendue à son sanctuaire niché au 46e étage et éblouie par tant de richesse, elle s’en voulait d’avoir refusé les invitations que Catherine lui avait adressées le mois dernier. Dès l’ouverture de la porte, elle resta bouche bée. Elle était incapable d’embrasser du regard la vaste salle de séjour aux teintes rosées, d’où émanait une note de gaieté. Leur ancien appartement était beau, très beau même, mais celui-ci est… J’ai oublié le mot. Ah oui ! Ça me revient… cossu.